L'homme primitif, qui vit au contact et à la merci d'une nature insoumise et dangereuse, n'est absolument pas motivé par la représentation du péril où il est.
Dans les îles les plus inaccessibles de l'ocean Pacifique, par exemple, on vit tranquillement en attendant le prochain cyclone et quand le vent commencera à se lever, et bien on se contentera de sangler sa cahute avec un énorme filin, par-dessus le toit, qui sera l'ancre la plus sûre qui retiendra l'ensemble à terre.
Là-bas, personne n'a évidemment contracté d'assurance-habitation... alors que dans nos pays " civilisés ", où la sécurité n'est sans dout pas plus grande que dans les jungles tropicales, les compagnies d'assurances ont trouvé un grand profit à spéculer sur l'angoisse publique, et peut-être l'ont créée.
Car enfin, on imaginerait bien que dans les sociétés sécurisées à outrance contre le vol, l'incendie, la grêle, les dégâts des eaux et risques divers, on devrait vivre heureux et tranquille : eh bien non, c'est tout le contraire. On finit par craindre tout.
Il parait même que le " marché de l'angoisse " est devenu un des plus fructueux qui soit.
Et pourtant, nos " primitifs " des îles lointaines, ne sont-ils pas heureux et détendus ? Ils n'ont pas d'assurance pour leur pirogue à balancier et il nous trouverait bien étranges s'ils nous voyaient vivre avec toutes nos craintes...
Peut-on en déduire que les inquiétudes et les angoisses augmentent avec la civilisation ? La souffrance est-elle un fait de civilisation ?
En fait, la crainte s'éveille pour une bonne part avec la connaissance objective du monde qui nous entoure, par la découverte et l'énumération des dangers qui nous menacent. L'étudiant en médecine deviendra peut-être malade de toutes les maladies qu'il apprend à identifier...
Par cette boutade, je voulais signifier que les souffrances de l'humanité se multiplient et augmentent par les progrès mêmes de la civilisation et de la culture, au point que les progrès de la science et de la technique, qui devaient conduire au bonheur de l'homme, ont eu pour résultat de perturber ses facultés.
L'homme souffre infiniment plus des progrès qu'il a réalisés que des malheurs dont il cherchait à se préserver.
Cela aussi, c'est un désordre...