Tu nous présentes là un stoïcisme bien passif et bien immobile, pourtant il me semble bien que le stoïcisme était une doctrine de l'action.
Il m'étonnerait très fort que pour Épictète ou que pour un autre grec ou romain de son époque, la liberté se situe dans l'imagination. D'une part parce qu'à l'époque la liberté est pensée comme politique, à l'exception de la pensée Épicurienne. L'homme ne peut concevoir sa liberté qu'en participant à la chose publique, et c'est une pensée très répandue pendant la période hellénistique. Je pense pouvoir même te lancer le défi de me trouver un philosophe de cette époque qui puisse penser le contraire, en dehors de l'école Épicurienne. Tu nous sors tout de même un Philosophe qui se réfugie dans l'imagination - en abandonnant le réel. Pourtant, la vérité est bien réelle pour le philosophe, et c'est la vérité qui intéresse le Philosophe. D'ailleurs je parle de "liberté" mais c'est une notion qui n'intéresse pas nos amis grecs et romains je crois, ou dans un domaine si étroit qu'il ne me semble pas pertinent de l'utiliser. Ils parlaient plutôt du Bonheur ou du Beau ; pour ce qui est de la liberté, il me semble qu'il faudra attendre.
Je pense que si tu t'es trompé, c'est parce que le Stoïcisme est une doctrine très rude et exigeante. De mon point de vue, elle pousse à une activité morale et politique inébranlable, dont le manquement est inexcusable. De ce que j'ai lu de Sénèque, il autorise difficilement un peu de retraite, à la seule condition que ce soit pour gagner par la suite plus d'ardeur dans les affaires publiques. On est tout de même très loin de l'Epictète que tu nous décris. Epictète dans ta première anecdote n'a pas recourt à la pitié, qui serait peut-être la réaction la plus banale. Pourquoi ? Parce qu'il doit conserver son intégrité morale avant son intégrité physique. Ce n'est pas un rebelle qui rejette sa condition et sa société genre "Ouais je m'en fiche bien tiens, j'suis un rebelle !", c'est plutôt un chevalier en armure étincelante avec un sentiment de devoir bien bien fort. Ensuite, il ne faut pas oublier que le Stoïcisme, tout comme le Scepticisme, possède une grosse racine logicienne aristotélicienne et pythagoricienne si je ne me trompe pas, ce qui aboutit sur des grandes théories logiques et sur une dialectique finement menée. Or, une maîtrise du dialogue ne sert à rien si on s'aliène dans un monde imaginaire.
Enfin, l'anecdote que tu nous donne sur la vie d’Épictète vient très certainement de Diogène de Laerce. Son recueil est sympa à lire, et même très utile puisqu'il nous parle de philosophes dont on ne possède plus les œuvres. Mais bon, Diogène nous retrace surtout des anecdotes et des rumeurs, pour qu'on rigole un peu de ces vieux philosophes originaux et de leurs disputes. Mais pour le stoïcisme, ça nous a livré plusieurs siècles après deux sens au stoïcisme. Mais rassure-toi, le scepticisme est tout autant concerné. On a un stoïcisme psychologique, c'est le sens que l'on comprend quand on pointe du doigt un type et que l'on dit "Oh regarde, je lui casse la jambe et il reste stoïque ! Ahah, quel crétin". Et enfin le sens philosophique, la doctrine philosophique qui a intéressé plein de gens pendant des siècles avant de ne plus intéresser personne sinon quelques étudiants et professeurs.