LA CHAPELLE QUI CHANTE
Au fil du temps, Monsieur le curé de Saint Louis se retrouve seul pour assurer les messes dans la paroisse. Son vicaire a été nommé curé dans un village voisin et il n'est pas question de le remplacer. Au fil du temps, non seulement, le clergé se fait rare mais les fidèles aussi.
Une poignée de paroissiens, une dizaine le plus souvent, assistent encore à la messe le dimanche matin dans la chapelle à l'autre bout du village. Le choix a été douloureux à faire, mais Monsieur le curé l'a fait. Pour tenir le coup, il a décidé de supprimer la messe de 8h30 dans la petite chapelle et celle de 18h à l'église.
Depuis cette décision, la petite chapelle n'est plus fréquentée que de temps à autre, pour un mariage ou pour un baptême dans le quartier.
La petite chapelle demeure là dans son écrin de verdure, entourée d'arbres. Il n'est plus question de pouvoir s'y recueillir un moment. Monsieur le Curé la garde fermée à clef. Il a même fait poser un système de sécurité, pour protéger la jolie statue de Sainte Anne qui date de plusieurs siècles et la descente de croix, œuvre moderne d'un artiste né dans le hameau.
La petite chapelle semble oubliée. Parfois, un bouquet de fleurs champêtres est déposé sur son seuil. Parfois, la sacristine vient la dépoussiérer. On est bien loin des fastes d'antan.
Cette année, pour la première fois depuis sa construction, il n'y aura pas de messe de Noël dans la petite chapelle. Pas question de l'ouvrir ce soir-là, pour y chanter des chants traditionnels ou pour y méditer en groupe sous la conduite d'un laïc. "On ne va tout de même pas la chauffer pour l'occuper une heure ou deux, ce serait du gaspillage !" Pas question de la décorer avec une crèche ou de la fleurir, comme le proposent des personnes âgées de l'endroit. "Ce serait inutile, puisque personne ne s'y attardera."
Alors la petite chapelle est vide. Désolation, nostalgie pour un soir exceptionnel.
Peu avant minuit, des cantiques s'élèvent dans le hameau. Pas de doute, c'est bien "Il est né le divin enfant" et "Douce nuit" qui se font entendre jusqu'à l'intérieur des demeures environnantes. On sort de chez soi, on s'interroge, on se demande quel individu ose ainsi troubler le calme du village. Enfin, on comprend. La musique provient de la petite chapelle.
Et la musique continue à se faire entendre. On s'approche pour percer le mystère. Plus on s'approche, plus le son devient fort. La porte est pourtant bien fermée. La petite chapelle ne laisse échapper aucune lumière. Mais la musique s'en échappe comme d'une boîte à musique.
On reste là à écouter, immobiles et heureux. Personne ne pense que dans quelques instants la messe débutera dans l'église paroissiale. On reste entre soi, sous le charme des cantiques. Bientôt des gens du centre du village arrivent. Eux aussi ont entendu les chants et ont deviné d'où ils provenaient.
Alors on chante tous ensemble, on est si content de se retrouver pour une nuit pareille. On ne voit pas le temps passer. Quand les chants se taisent, on applaudit, on danse, on se serre les uns conte les autres.
Monsieur le Curé n'en croit pas ses oreilles, quand on va le trouver pour lui raconter la chose. Il attend avant de prendre une décision qu'on le presse de prendre. "Il faudrait de temps en temps, y célébrer la messe. Pour Noël, pour Pâques, pour le 15 août par exemple. Essayez de trouver une solution."
De solution, Monsieur le Curé n'en trouve pas qui convienne. Monsieur le Curé vieillit, ses collègues sont fort occupés, la sécurité des églises et des chapelles est de plus en plus difficile à assurer.
C'est ainsi que pour Pâques, pour la Pentecôte, pour Sainte Anne, pour Noël, pour des circonstances indéterminées, la petite chapelle se met à chanter. On ne trouve pas pourquoi ni comment cela se produit.
La petite chapelle chante et les fidèles sont tout heureux de répondre à son appel…